
Le Tunisien est réputé l’un des plus gros consommateurs au monde d’eau conditionnée. Les statistiques indiquent une consommation moyenne de 250 litres/personne/an. En 2022, la production des 33 unités de fabrication des eaux embouteillées représentait 3,3 milliards de litres soit plus de 1,8 milliard de bouteilles en plastique de différentes tailles. Ceci représente environ 50 000 tonnes de plastique dont la plus grande partie se retrouve dans la nature et en mer.
Certes il y a le ramassage et le recyclage, toutefois le pourcentage reste très faible. La majeure partie de ces bouteilles se retrouve partout : dans les rues, canalisations, décharges, oueds et cours d’eau, en mer à encombrer et polluer les ports et sur les plages. Selon le Fonds Mondial pour la Nature (WWF), la Tunisie est l’un des principaux producteurs de plastique en Méditerranée. Les répercussions environnementales, économiques, sociales et sanitaires sont alarmantes.
Des effets environnementaux et sanitaires graves
Le plastique représente de nos jours une pollution grave à la fois visible qu’invisible. Visible par ces déchets qui s’accumulent et qui défigurent notre espace et invisible par la libération des microfragments qui s’incrustent partout dans l’environnement et tous les organismes vivants. Le plastique du type PET (polyéthylène téréphtalate) ou le bouchon en polyéthylène haute densité (PEHD) sont des produits qui mettent, selon les conditions environnementales, entre 500 et 1 000 ans pour se désintégrercomplétement. En réalité, le plastique ne disparaît pas vraiment. Il se fragmente en de très petites particules, des microplastiques etnanoplastiques, qui contaminent les sols, les océans, l’air. Ces particules sont ingérées par les organismes vivants (poissons, tortues marines, oiseaux etc.) et se retrouvent dans la chaîne alimentaire puis dans nos assiettes et dans notre corps (découverts dans le sang, les organes, le placenta, le lait maternel…). Les plastiques libèrent des éléments chimiques qui jouent le rôle de perturbateurs endocriniens et affectent sérieusement notre santé notamment par des troubles hormonaux divers, des problèmes de développement ou digestifs, et peuvent être liés à des cancers.
Le plastique reste actif durant des siècles en véhiculant des polluants chimiques. Il représente une menace sérieuse pour la santé publique et tous les organismes vivants. Sa combustion,dans les décharges par exemple pour s’en débarrasser, engendre la production de gaz toxiques chargés de dioxines cancérigènes.
Par ailleurs, la production de ces bouteilles en plastique entraine des émissions importantes de gaz à effet de serre, responsables du réchauffement climatique (1 kilogramme de PET produit est l’équivalent de 1,9 kg de CO²).
Notons enfin la particularité du secteur des eaux embouteillées, c’est que l’emballage est beaucoup plus cher que le produit. La bouteille en plastique PET avec son bouchon représentent l’essentiel des couts de fabrication (au moins 70%). A raison de 0,250 dinars la bouteille vide, le plastique utilisé pour conditionner l’eau nous coute 0,4 à 0,5 milliard de dinars/an, jeté chaque année dans la nature.
Le recyclage : une fausse bonne idée
On répète souvent que l’une des qualités du plastique c’est qu’il est recyclable presque à l’infini. Le recyclage est souvent présentécomme la solution parfaite pour remédier aux problèmes liés à l’utilisation du plastique. En réalité c’est un argument publicitaire pour nous inciter à consommer sans avoir de remords.
Le recyclage présente de nombreuses limites techniques, économiques et environnementales qui rendent cette solution peu efficace et peu intéressante.
En Tunisie, le système du recyclage du plastique en panne
En Tunisie, depuis 2001, l’Etat a créé au sein du Ministère de l’environnement un système de reprise et de valorisation des emballages usagés « Ecolef ». Ce système est orienté vers la valorisation des emballages comme les bouteilles PET, les films et sacs en plastique et les boites métalliques.
Depuis sa création, « Ecolef » a permis la création de nombreuses petites entreprises et plusieurs emplois dans le recyclage. Des chiffonniers, appelés communément « barbachas », fouillent dans les poubelles, les décharges, ou récupèrent directement auprès des ménages les bouteilles en plastique qu’ils vendent à un collecteur. Celui-ci amène la marchandise à un centre de tri qui va trier, nettoyer et broyer le plastique. Le produit peut être recyclé sur place ou exporté surtout vers la Turquie.
Jusqu’il y a quelques années, le système a fonctionné relativement bien. Le point noir c’est les barbachas. Ceux-ci vivaient des conditions de travail très difficiles, dangereuses, comportant de nombreux risques y compris sanitaires graves, sans aucune couverture sociale et recevaient en échange un salaire de misère. Avec la hausse continue du cout de la vie, le ramassage des bouteilles en plastique est devenu peu intéressant ce qui a entrainé une chute du ramassage et une crise le long de la filière. Actuellement le taux de ramassage est très faible et semble tourner autour de 5%. Par ailleurs, les recycleurs se plaignent de l’augmentation des coûts d’approvisionnement en plastique usagé et de la concurrence du secteur parallèle qui menacent leur activité.
Quelle alternative à la bouteille en plastique ?
La bouteille PET n’est pas la solution pour emballer l’eau, mais le problème. Des alternatives peuvent être envisagées :
Enfin, il est indispensable de réhabiliter l’eau du robinet. Encore faut-il que la Sonede améliore la qualité de son eau potable et que la confiance avec le consommateur soit rétablie. Dans de nombreux pays, l’eau du robinet est potable et sa consommation est encouragée, avec des fontaines et autres points de remplissage gratuits mis à la disposition des consommateurs. Dans certaines villes (comme à Los Angeles en Californie du Sud) les eaux usées sont transformées en eau potable qui répond aux standards internationaux de qualité. La technologie existe et avoir une eau de qualité est tout à fait possible. Installer un système de filtration de l’eau du robinet permet de se débarrasser des impuretés et d’avoir la conscience tranquille. L’eau filtrée revient beaucoup moins cher et vous évitez également la corvée du transport à l’achat. La multiplication des usines de désalinisation de l’eau de mer permettrait d’offrir également aux consommateurs de l’eau de qualité stable et acceptable.
Perspectives
Le développement de la consommation de l’eau conditionnée s’est accompagné par une production exagérée de plastique dont le taux de recyclage est trop faible ce qui génère des dégâts environnementaux et sanitaires graves.
La solution idéale et économique serait de revenir à l’eau du robinet comme eau potable et de n’utiliser l’eau embouteillée, de préférence dans des contenants en verre, que comme complément, eau minérale, bonne pour la santé. Malheureusement cette solution n’est ni réaliste ni faisable dans le contexte actuel.
Il est toutefois possible de réduire notre consommation de plastique.
1/ Le système Ecolef de recyclage est en déclin, aggravé par des difficultés financières et des moyens très limités, et le taux de ramassage est trop faible. Il est temps de réformer le système ainsi que toute la législation relative à l’utilisation et le recyclage du plastique à usage unique pour une meilleure efficacité de la filière et une transition écologique réussie.
2/ Il est nécessaire d’éduquer le consommateur et de l’informer des dangers de la bouteille en plastique que certains jettent, après usage, sans aucun souci ni regret. Il faut l’amener à se débarrasser de ces mauvaises habitudes et à prêter plus d’attention à la préservation de l’environnement. Le prévenir également des dangers de s’approvisionner auprès des vendeurs ambulants avec une eau dont l’origine est inconnue ou auprès des magasins qui filtrent l’eau du robinet, dans des conditions d’hygiène parfois déplorables, pour la revendre comme eau de table bon marché.Instaurer le tri sélectif des ordures ménagères, au niveau du consommateur, permet d’améliorer le taux de récupération et facilite les opérations du recyclage.
3/ La réforme du secteur de l’eau embouteillée est également indispensable. Contrôler rigoureusement la qualité des eaux, le respect de la législation, des normes et des cahiers des charges pour éviter tout abus des industriels. Le secteur des eaux embouteillées n’est pas à l’abri de tentatives de fraudes et de corruption. Le scandale révélé dernièrement par les médias français soulève des questions sur la transparence des pratiques industrielles, la responsabilité des autorités publiques et la protection des consommateurs en France. Une attention particulière doit être portée à la situation des nappes exploitées par les industriels, dans un contexte de réchauffement climatique et de sécheresse qui a directement touché les réserves hydriques et affecté la composition et la qualité de l’eau.
4/ Pour remplacer la bouteille en plastique PET, aucune alternative n’est actuellement parfaite. Une approche combinée (verre consigné, bouteilles réutilisables, fontaines publiques…) permet une réduction de l’usage du plastique et son impact environnemental.
Pour conclure. Le recyclage du plastique provenant des bouteilles d’eau PET, est loin d’être une solution efficace. En l’absence d’alternative pratique et économique, la réduction à la source demeure la seule véritable stratégie durable.
En Tunisie, la situation actuelle est grave, il est urgent d’agir avant qu’il ne soit trop tard. Il faut limiter l’usage du plastique dans notre quotidien et recourir chaque fois que c’est possible à des solutions écologiques. Nous sommes tous concernés : Ministères, industriels, consommateurs, syndicats, associations… Une volonté politique énergique et une véritable stratégie, accompagnée des moyens adéquats, sont nécessaires.
Les déchets plastiques tuent à petit feu. Agir est indispensable pour sauver notre environnement, notre santé et les générations futures de cette catastrophe silencieuse.
Par Ridha Bergaoui: Ancien Enseignant à l’Institut National Agronomique de Tunisie
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